Huile essentielle de Niaouli, l’essence de Gomen qui donna le Goménol

Le Niaouli, un trésor de la nature aux multiples vertus, est au cœur de notre exploration. Botaniquement connu sous le nom de Melaleuca quinquenervia et appartenant à la famille des Myrtaceae, cette plante remarquable se distingue par ses feuilles, véritables organes producteurs de bienfaits. L’histoire du Niaouli, riche et fascinante, débute bien avant son apparition en Europe au XVIIIe siècle. Traditionnellement utilisé dans les pays producteurs pour ses propriétés fébrifuges, antidiarrhéiques et cicatrisantes, le Niaouli a connu une trajectoire complexe, marquée par des moments de gloire et d’oubli, pour finalement s’imposer comme un élément précieux dans l’aromathérapie et la pharmacopée moderne.

Ce voyage à travers le temps révèle l’évolution de l’utilisation du Niaouli, depuis les pratiques traditionnelles des Kanaks du Pacifique jusqu’aux développements scientifiques du XXe siècle, qui ont mis en lumière ses synergies avec les antibiotiques et ses applications en tant qu’antiseptique général. L’époque moderne a été témoin de l’ascension et du déclin de la production d’huile essentielle de Niaouli, un récit qui souligne son importance dans l’industrie et la médecine, ainsi que la concurrence croissante avec d’autres plantes comme le cajeput et l’arbre à thé.

La découverte du Goménol, un dérivé de l’huile de Niaouli, marque un tournant dans l’histoire de cette plante. Initiée par Jules Prévet en Nouvelle-Calédonie et popularisée grâce à ses vertus thérapeutiques, cette huile essentielle rectifiée a connu un succès notable, témoignant de l’ingéniosité humaine dans l’exploitation des richesses naturelles. Enfin, nous explorons les propriétés pharmacologiques de l’huile essentielle de feuilles de Niaouli, mettant en lumière son efficacité en tant qu’expectorant, mucolytique et agent antimicrobien, des caractéristiques qui justifient son usage continu dans la médecine contemporaine.

Le Niaouli, de son nom botanique Melaleuca quinquenervia, appartient à la famille des Myrtaceae. Ses organes producteurs sont ses feuilles.

Histoire du niaouli

L’huile essentielle de Niaouli s’utilise depuis longtemps dans les pays producteurs comme fébrifuge, antidiarrhéique, ou en frictions vulnéraires, mais elle n’est apparue en Europe qu’à partir du XVIIIe siècle. Les Kanaks du Pacifique appliquent les feuilles en cataplasme sur les blessures cutanées comme cicatrisant et désinfectant.

Quevauviller et Mme Panouse, en 1952 ont considéré cette huile essentielle comme agissant en synergie avec les antibiotiques. Valnet (XXe siècle) considère l’huile essentielle comme un antiseptique général pulmonaire, urinaire et intestinal, un antirhumatismal et un vermifuge. Il le recommande dans les bronchites chroniques, la coqueluche et la tuberculose.

Époques modernes et contemporaines

L’histoire commence à la fin du XVIIIe siècle, lorsque des explorateurs français récoltèrent diverses plantes de la famille des Myrtacées, dont Melaleuca, encore inconnue en Europe. En 1862, De Rochas distille en effet pour la première fois des feuilles de Niaouli.

Mais on ne distille pas le niaouli avant 1862. Quand c’est fait, cela n’obtient pas le moindre succès. En fait, et plus probablement anecdotique, aucune suite n’est donnée à ce premier essai répertorié par l’histoire. En 1869, les choses se précisent un peu plus nettement : Bavay, pharmacien militaire de première classe de la Marine, présente une thèse portant sur l’huile essentielle de niaouli et sur l’anacardier. Au sujet de la première, il écrira : « Je ne sais si, comme on le suppose, l’essence de niaouli est appelée à un avenir quelconque, soit médical, soit industriel ; mais à coup sûr, si cet arbre ne devient pas une source d’aisance pour la Nouvelle-Calédonie, cela ne l’empêchera pas d’avoir été une précieuse ressource pour ses premiers habitants. » Néanmoins, ajoute-t-il, « je serais heureux si je pouvais appeler l’attention sur un produit qui a, je crois, quelque valeur. »

Bien que finalement entendues, ces paroles ne furent pas immédiatement suivies d’effets, puisque ce n’est que 50 ans après la thèse de ce pharmacien que débute, sous la dynastie Prévet, la véritable production industrielle d’huile essentielle de niaouli, qui augmentera constamment jusqu’en 1939, où l’entrée en guerre de la France provoquera une chute brutale de la production durant toutes les années du conflit, jusqu’à ce qu’elle reprenne pour quelque temps, de 1946 à 1950 environ, avant de péricliter jusqu’au début des années 1990, date à laquelle la production, très faible, l’est davantage que durant la Seconde Guerre mondiale. Cela s’explique en partie par la concurrence du cajeput, puis de l’arbre à thé, qui mènent une vie rude au niaouli dont le nombre de compositions magistrales pharmaceutiques qui contiennent de son essence ne cesse de chuter dès 1975 pour finir par s’effondrer en 2003.

Mais qu’est-ce donc que le Goménol ?

Dans le Figaro du mardi 8 septembre 1896, le journaliste Émile Gautier (1853-1937) écrivait ceci : « On trouve, à ce qu’il paraît, à la Nouvelle-Calédonie, un tas de produits qui ne se trouvent nulle part ailleurs, pas même en Australie. Parmi ces produits auxquels la grande île océanienne doit le meilleur de son originalité, une mention spéciale appartient à un nouveau produit chimique – mettons une drogue sui generis – qui pourrait bien, si j’en crois mes ‘tuyaux’ personnels, faire pas mal de tapage dans le monde où l’on tousse. » Ce produit, c’est – comme nous l’apprend le titre de cet article – le goménol. Mais qu’est-ce donc que le goménol ?

Aux environs de 1887, l’industriel français Jules Prévet (1854-1940), qui fait dans la conserverie de légumes et de viandes, tente l’aventure en se rendant en Nouvelle-Calédonie, territoire acquis à la France en 1853. C’est à lui qu’est confiée la toute nouvelle conserverie créée près de la petite ville de Gomen (aujourd’hui, Kaala-Gomen, située à 356 km au nord de Nouméa). Il « observe que la cueillette du café, répandue dans cette partie de l’île, donne lieu à des blessures chez les cueilleurs locaux qui, pour se soigner, mâchent des feuilles de niaouli […], puis mettent cet emplâtre de fortune sur les plaies pour éviter l’infection ».

S’étant assuré de l’efficacité de ce remède, Prévet revient en France et confie à deux scientifiques, Bertrand et Gueguen, la tâche d’étudier l’essence de niaouli à laquelle ils finissent par attribuer des vertus cicatrisantes, anesthésiques et antiseptiques, soit celles dont usent empiriquement les indigènes de la Nouvelle-Calédonie.

Commercialisation du Goménol

De fait, dès le 2 mai 1893, la marque « goménol » est déposée au tribunal de commerce de Paris, une appellation que Prévet explique ainsi : « Comme c’est dans un domaine de Nouvelle-Calédonie appelé Gomen que j’ai commencé à distiller cette essence, et que d’autre part, dans les pays de langue anglaise, on désigne sous le nom de gum tout ce qui est résine ou essence, l’idée m’est venue de chercher une appellation qui francise ce nom gum et qui rappelle aussi la localité où le Goménol a été tout d’abord produit. »

S’ensuivit une commercialisation à grande échelle d’essence de goménol et de produits dérivés, nombreux puisqu’on compte des baumes, des onguents, des pommades, des ovules, des suppositoires, des huiles, savons, dentifrices, etc. Et il ne s’agit pas là d’une seule question de cameloterie de foire, puisqu’une ample communication scientifique, via brochures, formulaires et expositions, est consentie pour faire valoir le goménol qui est, en réalité, une huile essentielle de niaouli rectifiée : on lui a ôté ses aldéhydes. Il ne s’agit donc pas d’une huile essentielle 100 % pure et naturelle telle qu’on exige qu’elle soit généralement de nos jours. Il n’en reste pas moins que, thérapeutiquement parlant, le goménol, cet arbre qui cache la luxuriante forêt des produits goménolés, recouvre l’ensemble de ce qui, peu ou prou, justifie encore aujourd’hui l’usage de cette huile essentielle, à savoir : les affections gynécologiques et celles des voies tant urinaires que respiratoires.

Mais Prévet, qui n’est jamais qu’un industriel libéral et opportuniste, n’est cependant pas le « découvreur » du niaouli, simplement son plus fervent vulgarisateur. Le genre Melaleuca, auquel appartient le niaouli, a été décrit par Linné en 1767, mais ces arbres restèrent peu connus en Europe, quand bien même des explorateurs français récoltèrent différents extraits de plantes issues de cette famille botanique, les Myrtacées.

Quelles sont les propriétés pharmacologiques de l’huile essentielle de feuilles de Niaouli ?

L’huile essentielle de feuilles de Niaouli possède de nombreuses propriétés pharmacologiques intéressantes. Découvrons ensemble les principales d’entre elles.

Effet expectorant et mucolytique :

Le 1,8 cinéole stimule des glandes exocrines des muqueuses respiratoires. Chez l’homme, il se démontre en effet que le 1,8 cinéole augmente l’activité des cils de la muqueuse nasale et induit un effet bronchodilatateur. Une action décongestionnante nasale a été obtenue chez l’homme atteint d’un rhume infectieux, mais aucun effet dans les rhinites allergiques.

Expectorant, asséchant des muqueuses respiratoires et mucolytique, le niaouli améliore ainsi la clairance muco-ciliaire.

Effet antimicrobien :

L’huile essentielle est bactéricide vis-à-vis de bactéries Gram positif comme Listeria monocytogenes, le staphylocoque doré, Enterococcus sp. et de Gram négatif comme Shigella flexneri, Klebsiella pneumoniae, Salmonella typhi et choleraesuis, Proteus mirabilis, ainsi que Enterobacter aerogenes.

Un effet antiviral direct contre le virus de l’herpès a été démontré avant la pénétration du virus dans la cellule. Un effet antifongique a été mis en évidence avec l’huile essentielle et le citronellol.

Bon anti-infectieux ORL, respiratoires, lymphoganglionnaire et génito-urinaire, le niaouli est également un excellent antiviral avec Ravintsara. Son activité antimicrobienne vis-à-vis de Gardnerella vaginalis et Candida albicans (comme l’alpha-terpinéol) est comparable à celle du clotrimazole, utilité dans les vaginoses bactériennes.

Effet anti-inflammatoire :

Une action anti-inflammatoire du 1,8 cinéole a été démontrée in vitro sur des globules blancs (monocytes) vis-à-vis d’inducteurs de l’inflammation comme l’interleukine-1β : les médiateurs de la réaction inflammatoire comme les métabolites de l’acide arachidonique, les leucotriènes B, le thromboxane-B et les prostaglandines E sont significativement diminués au niveau pulmonaire, ainsi que le TNF-α (tumor necrosis factor). Des essais cliniques chez des patients atteints d’asthme bronchique ont démontré les mêmes propriétés ; après traitement pendant 3 jours par du 1,8 cinéole, les médiateurs pro-inflammatoires de leurs monocytes se réduisent.

L’huile essentielle de niaouli, ayant une action cortison-like, stimule l’axe hypophyso-corticosurrénalien. De ce fait, elle présente un intérêt dans le traitement des états inflammatoires prolongés.

Son action antalgique et anti-inflammatoire est due à un effet non opioïde par, action sur les cellules mastocytaires.

Effet antispasmodique :

Le 1,8 cinéole agit sur les muscles lisses de la trachée vis-à-vis de l’acétylcholine.

Autres effets :

  • Immunomodulante
  • Anti catarrhale
  • Radio protectrice (protectrice cutanée lors de la radiothérapie)
  • Œstrogen-like
  • Décongestionnante veineuse
  • Insecticide contre les puces et les poux
  • L’efficacité semble encore meilleure lorsqu’elle est associée à l’huile essentielle de manuka (Leptospermum scoparium)
  • Fébrifuge
  • Promoteur d’absorption cutanée de diverses molécules, dont l’estradiol
  • Gonadotrope, stimulation de l’axe hypophyso-testiculaire et hypophyso-surrénalien
  • Anti-angiogénique (cellules leucémiques), inducteur d’apoptose (fragmentation de l’ADN)

L’huile essentielle de Niaouli requiert-elle des précautions d’emploi ?

  • Prudence dans les pathologies hormonodépendantes ; ne pas associer avec un traitement estrogénique (y compris les estroprogestatifs)
  • Contre-indiquée chez la femme enceinte ou allaitante
  • Contre-indiquée chez les asthmatiques et les épileptiques ou chez les personnes aux antécédents de convulsions
  • Ne pas dépasser 3 semaines de traitement
  • Ne pas associer à la cortisone, risque d’interaction médicamenteuse
  • Dermocaustique, action révulsive sur la peau à l’état pur et agressive pour les muqueuses (rougeurs, irritations, prurit)
  • Réservée à l’adulte ou à l’adolescent pubère
  • Prudence en cas d’insuffisance rénale ou hépatique per os (néphrotoxique et hépatotoxique)
  • Inhibitrice enzymatique, risque d’interactions médicamenteuses, demandez conseil à votre pharmacien
  • Les suppositoires à base de dérivés terpéniques présentent une contre-indication pour les enfants de moins de 30 mois ainsi que pour ceux ayant des antécédents de convulsion fébrile ou d’épilepsie.
  • Ne pas diffuser

Sources bibliographiques médicales et essais cliniques :

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