Huile essentielle d’Estragon, de simple aromate à l’antre de l’apothicaire

L’estragon, de son nom botanique Artemisia dracunculus, appartient à la famille des Asteraceae. Ses organes producteurs sont ses parties aériennes.

L’Histoire de l’estragon

L’estragon fut imposé en Europe pendant les croisades. Mais il a depuis bien longtemps une longue tradition comme plante médicinale et épice en Asie et en Sibérie. En plus d’être entré dans les grimoires culinaires, il pénètre dans l’antre de l’apothicaire et du maître-mire dès le Moyen-âge.

Ses origines

L’estragon est une armoise du nom scientifique de Artemisia dracunculus. Artemisia est en effet un genre créé en 1753 par Carl von Linné (1707-1778). Il évoque la déesse de la chasse Artémis de la mythologie grecque (Diane chez les Romains), qui était aussi associée à la lune et considérée comme protectrice des femmes.

Puisque l’estragon est infertile par ses graines sur nos sols occidentaux, c’est qu’il vient d’ailleurs. En ce cas, d’où provient-il ? On a imaginé une genèse de l’estragon pour le moins saugrenue au XVI ème siècle : cette plante « provenait, affirmait les marchands de légumes, de graines de lin qu’on avait enfermées dans un radis ou dans un oignon, puis enfouies sous terre ». Certains auteurs n’y virent aucun inconvénient et acceptèrent l’idée avec grande crédulité, tandis que d’autres, la récusant, partir à la recherche, tant bien que mal, de l’origine de cette plante non indigène en Europe. On s’imagina même la reconnaître dans l’œuvre de Dioscoride.

Si l’estragon porte les surnoms de dragon et de serpentine, c’est parce qu’au temps de Dioscoride (qui ne le connaissait pas), on imaginait l’herbe dragonne capable de venir à bout des morsures de serpents (comme cité plus haut), vertu reprise au XI ème siècle par Avicenne. Cette équivoque remonte sans doute à Pline qui désignait par dracunculus, terme qu’on traduirait par « petit dragon », en rapport avec un autre, plus gros, drakontia, transposé en tharchoûm, puis tarkhoum en langue arabe, targon et enfin tarcon au XIII ème siècle. Du moins est-ce de cette façon qu’en parlaient Ibn Al-Baytar et Simon Januensis en ce siècle qui voit l’arrivée de l’estragon en Espagne par le biais des Maures.

À moins qu’il n’ait été introduit plus tôt en Europe, comme le prétendait Syméon Seth, médecin et botaniste byzantin du XI ème siècle, ou bien l’une de ces nombreuses plantes rapportées des croisades, ce qui, concernant l’estragon, mais cela semble peu probable. Pour cela, il eut fallu que les croisés se rendissent fort à l’est, bien au delà de cet Orient si proche.

Il y a encore mille ans, on ne savait pas d’où provenait l’estragon, et l’on ne sait pas si celui qu’on appelait estragon avec les mots de l’époque est bien l’estragon qu’on connaît tous aujourd’hui. D’autant que le dragone artemisia dracunculus serpentine brouille les pistes. Par exemple, le Capitulaire de Villis mentionne la présence d’une plante étiquetée dragontea offrant, par son nom du moins, des similitudes avec l’herbe dragon.

Au Moyen-Age

Cette magnifique herbe aromatique est originaire des steppes de Sibérie et de Chine. Après avoir émigré jusqu’au Moyen-Orient, c’est au Moyen Âge qu’elle fut ramenée en Europe par les croisés qui l’utilisent par ailleurs sous forme de liqueur vers 1548. On le voit apparaître en France au XVIe siècle parmi les herbes cultivées par les moines. Il est cité par Gérard dans son herbier en 1597.

Avicenne (980-1037) le conseille dans son Canon de la Médecine pour « chasser l’air du ventre et combattre les fermentations intestinales ».

En France, c’est au 15e siècle que les moines ont commencé à le cultiver pour ses qualités médicinales et aromatiques. Effectivement, l’estragon est un remarquable antispasmodique, agissant sur les muscles et le système nerveux. Il permet d’améliorer la digestion en stimulant les secrétions digestives et empêchant l’accumulation d’aliments dans l’estomac. L’estragon serait un antidouleur efficace notamment face à des règles douloureuses car il agirait sur les crampes et les contractures musculaires. Enfin, l’estragon aurait également des propriétés antihistaminiques, aidant à lutter contre les allergies.

Le dragontea du capitulaire carolingien ne peut être l’estragon, comme l’expliquait Alain Canu : « Ce dragontea qui, suivant Sprengel, serait l’estragon, Artemisia dracunculus de Linné, est désigné de bien des manières dans un manuscrit du IX ème siècle. L’article sur le dragontea est à la vérité dépourvu, comme presque tous ceux qui concernent les autres plantes, de la description des caractères botaniques ; mais il est accompagné d’une figure coloriée assez bonne pour le temps. Or, cette figure ne ressemble en rien à l’estragon, tandis qu’elle ressemble très bien à la serpentaire, Arum dracunculus, de Linné […]. Le dragontea est donc, non pas l’estragon, mais la serpentaire ». Sachant que l’estragon est désigné sous le nom de serpentine, cela accroît les confusions.

L’estragon n’est donc pas une plante aromatique typiquement médiévale comme peuvent l’être la sauge et l’hysope par exemple. S’il apparaît au Moyen-Âge, c’est avant tout sous la férule des médecins arabes dont Avicenne qui indiquait dans Le Canon de la médecine ses bons effets pour chasser l’air du ventre et celui de la pestilence (cette vertu antiseptique de l’atmosphère en temps de peste sera reprise par Matthias de l’Obel bien plus tard) ; d’autres conseillent le tarkhoum comme emménagogue, tonifiant du cœur et de l’estomac.
Il n’est donc pas concevable d’imaginer une cuisine médiévale qui fasse appel à l’estragon, du moins en la France de l’époque.

A la Renaissance

Il faudra attendre le XVIe siècle pour que les longues et fines feuilles parfumées de l’estragon viennent apporter leur saveur en cuisine. D’après « Le Grand Robert de la langue française », le terme estragon est apparu dans la langue française en 1601. Un siècle plus tôt, on disait estargon, altération de targon qui était employé au XVIe siècle. Selon les régions et les époques, l’estragon a été baptisé de diverses façons : armoise âcre, arragone, dragon, dragonne, estragon français, estrôon vrai, fargon herbe dragon, gardon, petit serpent, serpentine, tarchon, targon, tarragon. Ce dernier nom est d’ailleurs celui que lui donnent les Anglais.

Après cet embrouillamini digne d’une pelote de fil emmêlé par un chaton facétieux, l’on peut revivre, enfin, à l’aide de cette période bien nommée qu’est la Renaissance. Tout d’abord, on signale la plante dans différents ouvrages illustrés, ce qui en facilite l’identification. Rembert Dodoens lui donne le nom d’herbe-dragon. Matthiole l’appelle targon. Ils précisent tous les deux qu’elle ne joue encore qu’un strict rôle de condiment. Bien avant eux, le botaniste et médecin français Jean Ruel (1474-1537) en donne une remarquable description dans le De natura stirpium. Il indiquait que « c’est une des salades les plus agréables qui n’a besoin ni de sel ni de vinaigre, car elle possède le goût de ces deux condiments ».

Durant l’ensemble du XVI ème siècle, on ne considère l’estragon que comme un excitant des papilles gustatives, rien de plus. Tout change au XVII ème siècle : en plus d’être entré dans les grimoires culinaires, il pénètre dans l’antre de l’apothicaire et du maître-mire. À l’abord de ce nouveau siècle, l’on fait de lui les mêmes usages qu’on réservait aux autres Artemisia. Ainsi en parle Nicolas Lémery (1645-1715) : cette plante « excite l’urine et les mois aux femmes, elle chasse les verts, elle provoque l’appétit, elle résiste aux venins, elle est bonne pour le scorbut, elle fait cracher étant mâchée ». À cela, ajoutons des vertus stomachique, anti-arthritique et antihydropique, et l’on aura fait le tour de la question.

Mais, selon la spécialité des uns et des autres, l’on n’en parle pas dans les mêmes termes. Le jardinier et agronome, créateur du potager royal de Versailles, Jean-Baptiste de la Quintinie (1626-1688), en vante la culture et l’usage essentiellement culinaire. Il estime que c’est là une des plus précieuses fournitures parfumées que l’on peut mettre à disposition des cuisiniers et du palais des convives. Valmont de Bomare (1731-1807), naturaliste, s’attache, lui aussi à le décrire sous le spectre gastronomique dans sa fameuse encyclopédie en six volumes. Il écrit que c’est une herbe qui relève le goût des salades, lève l’inertie et la fadeur d’une laitue.

Jean-Baptiste Chomel (1709-1765) eut beau tirer à lui, de nouveau, la couverture en direction de la médecine. Il préconisait l’estragon surtout pour un ensemble de désordres gastro-intestinaux : faiblesse stomacale, indigestion, nausée. L’estragon tombe de plus en plus dans l’écumoire du cuisinier, jusqu’à ce que Roques ne scelle son sort, si je puis dire : « L’estragon est une plante aromatique que la médecine a cédé à l’art culinaire, et elle a bien fait, car elle est assez riche en végétaux stimulants ».

Aujourd’hui

L’estragon est devenu un aromate et condiment incontournable de la cuisine française. Il entre dans la recette de la fameuse sauce béarnaise et permet d’assaisonner les salades, parfumer la volaille et le poisson. Attention à toujours garder la main légère avec l’estragon car son goût puissant a tendance à rapidement dominer un plat.

Aujourd’hui, après bien des méli-mélo, on ignore à quelle époque exacte notre plante a posé ses valises par chez nous. Qu’on ne sache pas quand elle est arrivée, soit, mais qu’en plus on objecte quelques doutes et difficultés de détermination de son lieu d’origine. Proche-Orient, Moyen-Orient, steppes de l’Asie centrale, vallées fluviales russes et sibériennes, Tartarie, etc., l’on n’a pas lésiné sur les origines qui, on le voit, sont diverses et variées. L’estragon existe à l’état sauvage à l’ouest de l’Amérique septentrionale (Alaska), dans un territoire qui fait immédiatement face à la Sibérie. Peut-être est-ce là le berceau originel de l’estragon.

La méprise, pour certains auteurs, provient de ce que l’estragon, sous nos latitudes, possède un goût plus alliciant que son homologue russe. De là, on en a déduit qu’il n’y avait qu’un climat oriental qui pouvait conférer à l’estragon sa sublime saveur. Nous pouvons en conclure que si le passeport de l’estragon est pour le moins vague, son certificat de naissance l’est tout autant.

 

Quelles sont les propriétés pharmacologiques de l’huile essentielle d’Estragon ?

Propriétés antibactériennes :

L’huile essentielle d’estragon est anti-infectieuse urinaire, antibactérienne sur Staphylococcus aureus et Escherichia coli, ainsi qu’antifongique sur candida.

Propriétés digestives :

Stimulante digestive, cette huile essentielle est également anti fermentaire ainsi qu’antiseptique intestinale. Il a en outre été démontré que l’estragon était stomachique, apéritif et carminatif.

Propriété antiallergique :

Également antiallergique, l’huile essentielle d’estragon est donc par conséquent antihistaminique et anti-inflammatoire.

Activités sur le système nerveux central :

Antispasmodique neuromusculaire, cette huile essentielle se retrouve de fait anticonvulsivante et sédative. C’est en conséquence une huile tonique psycho-émotionnelle.

Son activité anticholinestérasique est intéressante; elle permet en effet d’augmenter l’activité cholinergique au niveau du système nerveux central. On l’utilise donc pour traiter la démence de type Alzheimer (il existe une diminution de neurones cholinergiques au niveau du cortex et de l’hippocampe chez les patients atteints de ce type de démence). Les inhibiteurs de la cholinestérase entraînent une augmentation des niveaux d’acétylcholine au niveau des synapses neuronales en inhibant l’enzyme responsable de la dégradation de l’acétylcholine. Cela favorise ainsi une augmentation de la transmission cholinergique.

Mode d’action connu ou présumé :

Le méthyl-chavicol (= estragole) est antispasmodique de la musculature lisse

L’huile essentielle d’Estragon requiert-elle des précautions d’emploi ?

  • Contre-indiquée chez la femme enceinte ou allaitante
  • Pas d’usage prolongé, ne pas dépasser 40 mg maximum soit 2 gouttes par jour pendant 2 à 4 jours, ou 20 mg par jour pendant 2 semaines de traitement
  • Ne pas dépasser 14 jours de traitement
  • Irritation cutanée (dermocaustique) possible à l’état pur, dilution requise
  • Risque d’hépatotoxicité per os
  • Réservée à l’adulte
  • Déconseillée pour les grands fumeurs et pour les personnes présentant des troubles hépatiques
  • Déconseillée en cas de traitements anticoagulants ou de troubles de la coagulation
  • Prudence avec tous les médicaments susceptibles de potentialiser le risque hémorragique (aspirine, anticoagulants par voie orale ou injectable, fluidifiants sanguins)
  • Risque d’interaction avec les antifongiques par voie orale comme l’éconazole, etc.

 

Sources bibliographiques médicales et essais cliniques :

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